Position des OPM sur la loi portant habilitation du gouvernement à prendre des mesures dans le cadre des sujétions liées aux nécessités de la défense nationale

Conférence de presse des organisations professionnelles des médias sur le projet de loi portant habilitation du gouvernement à prendre des mesures dans le cadre des sujétions liées aux nécessités de la défense nationale

DECLARATION LIMINAIRE

Bonjour chers consœurs et chers confrères !

Au nom de l’ensemble des Organisations professionnelles des médias (OPM), initiatrices de la présente conférence de presse, je vous souhaite la bienvenue au Centre national de presse Norbert Zongo (CNP-NZ).

Avant d’aborder l’objet de cette conférence de presse, nous tenons à réaffirmer tout notre soutien aux éléments des Forces de défense et de sécurité (FDS), aux Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) ainsi qu’aux vaillantes populations du Burkina Faso qui se battent inlassablement contre l’hydre terroriste.

Nous présentons nos condoléances aux martyrs civiles, militaires et paramilitaires de cette lutte pour la défense du pays, souhaitons prompt rétablissement aux blessés et beaucoup de courage aux nombreuses personnes déplacées internes occasionnées par cette guerre injuste.

C’est l’occasion aussi pour nous de traduire notre soutien et nos encouragements à tous les confrères victimes d’intimidations, de menaces ou d’agressions dans l’exercice de leur métier.

Chers consœurs, confrères !

La conférence de presse, organisée dans l’urgence ce matin porte sur le projet de loi portant habilitation du gouvernement à prendre des mesures dans le cadre des sujétions liées aux nécessités de la défense nationale. Nous tenons d’abord à remercier les députés de l’Assemblée législative de transition (ALT), particulièrement la Commission des Affaires Générales, Institutionnelles et des Droits Humains (CAGIDH) pour avoir invité les OPM à donner leur avis sur le projet de loi le 30 mai 2022. Nous espérons leur avoir été utiles.

Mesdames et Monsieur les journalistes,

Cette conférence de presse est pour nous l’occasion de partager avec vous nos observations sur le projet de loi portant habilitation du gouvernement à prendre des mesures dans le cadre des sujétions liées aux nécessités de la défense nationale.

Les libertés individuelles et collectives (dont la liberté d’expression et de presse) étaient déjà menacées bien avant l’avènement du Mouvement Patriotique pour la Sauvegarde et la Restauration (MPSR). En témoigne la récurrence des interdictions de manifestations, les restrictions et coupures d’Internet, les interpellations et auditions d’activistes, etc. Ces différentes restrictions, vous vous en rappelez, ont suscité la colère du peuple.

Depuis l’avènement du MPSR, la situation ne s’est guère améliorée avec les velléités clairement affichées de museler davantage les libertés.

Cela ressort clairement dans le discours du Président Paul Henri Sandaogo Damiba prononcé le 1er avril 2022 : « … Il n’est dans l’intérêt de personne de restreindre volontairement les libertés chèrement acquises par notre peuple. Certaines mesures déjà édictées et d’autres à venir susciteront probablement des grincements de dents. Mais c’est le prix à payer pour sortir notre pays de l’ornière… ».

Nous avons en mémoire aussi les mises en garde du ministre en charge de la sécurité, le Colonel-major Omer Bationo, dans un communiqué publié le 15 mars 2022 : « (…) Il n’y aura pas d’impunité pour les auteurs de publications et autres agissements à caractère subversif, portant atteinte à l’ordre public, à la cohésion sociale et au moral des troupes. Aucune tolérance ne sera faite à ceux qui veulent par leurs actes accroître la souffrance des populations déjà meurtries ».

Nous relevons également la rencontre du Président du Faso avec les patrons de médias, les rédacteurs en chef, directeurs généraux, les directeurs de publication et bien d’autres acteurs des médias, tenue le 14 avril 2022, rencontre au cours de laquelle le Président du Faso s’est montré réfractaire aux critiques : « Allez dire à ceux qui me critiquent sans me connaître que le train est lancé et qu’il va arriver à destination et qu’il est temps de monter pour ne pas avoir de regret ».

Par ailleurs, les interdictions de manifestations et interpellations de citoyens n’ont pas cessé.

Tous ces faits sont des signes annonciateurs de lendemains sombres en matière de libertés démocratiques, piliers d’un Etat de droit démocratique. C’est d’ailleurs pourquoi nous sommes inquiets parce que depuis 2019 sous le prétexte de la lutte contre le terrorisme, les autorités veulent verrouiller les espaces de liberté, confisquer la liberté d’expression et bâillonner la presse et la liberté qui va avec.

Déjà en 2019, précisément le jeudi 20 juin 2019, à la veille de l’adoption de Loi N°044-2019/AN portant modification du Code pénal, à travers une lettre d’interpellation, nous attirions l’attention de l’Assemblée Nationale sur le risque que ferait peser la révision du Code pénal sur l’exercice du métier de journaliste au Burkina Faso et le droit du citoyen à l’information. Aujourd’hui, l’évolution de la situation nous donne entièrement raison.

Mesdames et Monsieur les journalistes,

Le projet de loi tel que libellé et tel que les députés de l’ALT s’apprêtent à examiner le lundi 6 juin 2022, ne permet pas de le comprendre.

D’abord parce qu’on ne connaît pas le contenu des ordonnances que le gouvernement est habilité à prendre ou souhaite prendre. La seule précision étant celle mentionnant qu’il va s’agir de mesures prises dans le cadre de sujétions liées à la défense nationale. Que devons-nous entendre par « sujétions liées à la défense nationale » quand on sait que la défense nationale est un vaste champ diffus et transversal. Le gouvernement aurait dû être plus explicite dans l’exposé des motifs pour dire exactement de quoi il s’agit et pourquoi le recours à l’Assemblée législative de la transition rendrait inefficace son intervention. Il y a un risque que cela devienne un fourre-tout et une occasion de confisquer les libertés.

Ensuite, à l’analyse, cette loi est ambiguë et ne nous permet pas de voir son champ réel d’application. Son caractère sommaire laisse voir des intentions cachées.

Par ailleurs, le gouvernement indique dans son exposé des motifs : « La nécessité de renforcer les exigences de l’Etat de droit commande la mise en œuvre des moyens juridiques constitutionnels afin que dans le cadre des opérations militaires, le gouvernement puisse être habilité à prendre des mesures dans le domaine de la loi ». Ce passage est paradoxal dans la mesure où on ne peut pas renforcer l’Etat de droit avec des mesures d’exception.

Nous ne voyons donc pas quels problèmes l’adoption de cette loi pourrait résoudre et que les lois actuelles ne peuvent pas régler. Quels types de mesures le gouvernement sera amené à prendre qu’il n’a pas déjà pris dans le cadre de l’Etat d’urgence ? Pour nous, cette loi n’a pas de plus-value et constitue un danger pour l’Etat de droit et la démocratie, quand on connaît les sacrifices consentis par de nombreux filles et fils de notre peuple pour la sauvegarde des libertés démocratiques et de l’Etat de droit.

Mesdames et Monsieur les journalistes,

De tout ce qui précède, nous sommes au regret de vous annoncer que nous ne pouvons pas nous associer, ni donner caution à une loi dont la finalité est de substituer l’Etat de droit par l’Etat d’exception, toute chose qui anéantira la liberté d’expression et de la presse.

Aussi, nous attendons de tout parlementaire soucieux de l’Etat de droit, de rejeter purement ce projet de loi et de se démarquer de toute tentative liberticide remettant en cause les acquis démocratiques.

Ouagadougou, le 3 juin 2022

Organisations signataires

CNP-NZ

AJB

AEPML

OBM

SEP

SYNATIC

UNALFA

Reporter du Faso

ARCI

APAC